Le 3 novembre 1793, ...Olympe de Gouges

Le 3 novembre 1793, ...Olympe de Gouges

Femme de lettres, auteure de théâtre engagée, Marie Gouze dite Olympe de Gouges écrivit une vingtaine de pièces jouées tant à PARIS qu’en Province pendant la révolution. C’est «  L’esclavage des noirs » qui la rendit célèbre et qui fut inscrite au répertoire de la Comédie française le 30 juin 1785 sous le titre de « Zamore et Mirza ou l’heureux naufrage »

Olympe fut une des premières abolitionnistes, membre du « club des amis des Noirs » notamment aux côtés de l’Abbé Grégoire.

On lui doit une soixantaine de pamphlets révolutionnaires ([1]) sous forme de brochures, placards et articles.

Elle demanda l’instauration du divorce, la suppression du mariage religieux, s’indigna du sort réservé aux femmes en couches, recommanda la création d’ateliers nationaux pour les chômeurs et de foyers pour les mendiants… Elle souhaitait que les femmes soient associées aux débats politiques et sociaux.

« La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » (  jointe en annexe ) qu’elle rédigea en 1791, calquée sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 affirme l’égalité des droits civils et politiques des deux sexes espérant que soient rendus à la femme les droits naturels que la force des préjugés lui avait retirés.

Ce texte ne réapparut qu’en 1986 grâce à Benoite Groult ; première déclaration universelle des droits HUMAINS exigés autant pour les femmes que pour les hommes, il mérite d’être lu en entier.

En voici quelques extraits particulièrement significatifs et visionnaires :

« Article 10 : la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune ».

Extraits du post- ambule :

  • « L’homme esclave a multiplié ses forces , a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne ».
  • « Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir »
  • « Je remarque que dans les luttes, les femmes doivent toujours lutter deux fois plus que les hommes ; une fois avec les hommes pour le changement, et la 2° fois pour qu’elles ne soient pas en reste du changement »

…Autant de constats d’une troublante actualité .

Quant à Olympe…

Longtemps monarchiste constitutionnelle…

Son style direct, parfois maladroit, mais toujours percutant, son franc-parler, son engagement indéfectible lui valurent la réprobation des femmes (« Les femmes n’ont jamais eu de plus grands ennemis qu’elles-mêmes. Rarement on vit les femmes applaudir à une belle action, à l’ouvrage d’une femme ») et des hommes qui contestaient sa vision de la femme combattante.

S’étant violemment opposée à ceux – dont Marat - qu’elle tenait pour responsables des atrocités des 2 et 3 septembre 1792 : « le sang, même des coupables, versé avec cruauté et profusion souille éternellement les révolutions »…..

Lançant une diatribe contre Robespierre : « Tu te dis l’unique auteur de la Révolution, tu n’en fus, tu n’en es, tu n’en seras éternellement que l’opprobre et l’exécration »…..  « Tu voudrais te frayer un chemin sur des monceaux de morts et monter par les échelons du meurtre et de l’assassinat au rang suprême ! Grossier et vil conspirateur. »…….

Ayant proposé d’aider Malesherbes à assurer la défense du Roi devant la Convention…

Dénonçant la montée en puissance de la dictature montagnarde…

Arrêtée par les Montagnards pour avoir tenté de rétablir un gouvernement autre que « un et indivisible »…

Elle fut déférée le 6 août 1793 devant le Tribunal révolutionnaire, condamnée et guillotinée le 3 novembre 1793 : « Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort » furent ses derniers mots.

Malgré l’incontestable émancipation progressive des femmes à laquelle Olympe de Gouges a contribué, beaucoup d'efforts restent à faire pour parvenir à une égalité DE FAIT entre hommes et femmes :

  • Les femmes restent encore minoritaires parmi nos élus comme au niveau des directions des entreprises et de la haute fonction publique.
  • La non-mixité de nombreux métiers cantonne près de la moitié des femmes (49,8%) dans 12 des 87 familles professionnelles
  • Elles occupent la majorité des emplois les moins qualifiés du secteur tertiaire
  • Elles subissent davantage le chômage et le temps partiel non choisi.
  • Leurs emplois sont souvent précaires, leurs salaires et leurs retraites moindres
  • Un fossé se creuse entre l’élite féminine occupant des positions de pouvoir et l’ensemble des femmes qu’elles sont censées représenter ou auxquelles elles souhaitent s’adresser.

…Autant de désavantages qui tiennent au regard porté sur elles par la société comme au poids des stéréotypes que beaucoup d’entre elles ont intériorisés.

Ce sujet majeur est au cœur des préoccupations du Droit Humain de France qui, depuis sa fondation au 19° siècle affirme « l’égalité de l’homme et de la femme ».

Le combat des femmes appelle au soutien des hommes ; que l’on choisisse la voie du cœur ou celle de la raison, on ne peut se passer de la moitié de l’humanité.

Ainsi que le disait Maria Deraismes (14 janvier 1882) « La femme est une force. Moitié de l’humanité, si elle se confond avec l’autre par des caractères généraux et communs, elle s’en distingue par des aptitudes spéciales d’une puissance irrésistible qui forment un apport particulier, essentiel et indispensable à l’évolution intégrale de l’humanité »

En ce jour où le sacrifice d’Olympe de Gouges réveille nos mémoires, on ne saurait occulter ni la fragilité des acquis, ni les étapes encore à franchir : une « journée des femmes » par an, le 8 mars, c’est se donner bonne conscience à peu de frais ! Dès lors n’oublions pas, pour paraphraser Jaurès, que ce n’est pas seulement par la force des choses que s’accomplira la révolution sociale. C’est par la force des hommes et des femmes, par l’énergie des consciences, des cœurs et des volontés.

 

ANNEXE : DÉCLARATION DES DROITS DE LA FEMME ET DE LA CITOYENNE

À décréter par l'Assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature.

PRÉAMBULE 

Les mères, les filles, les soeurs, représentantes de la nation, demandent d'être constituées en Assemblée nationale.

Considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes moeurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur, en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.

Art.premier.
La Femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

Art.2
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l'oppression.

Art.3
Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n'est que la réunion de la Femme et de l'Homme: nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

Art.4
La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l'exercice des droits naturels de la femme n'a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l'homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.

Art.5
Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société ; tout ce qui n'est pas défendu pas ces lois, sages et divines, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elles n'ordonnent pas.

Art.6
La loi doit être l'expression de la volonté générale ; tous les Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.

Art.7
Nulle femme n'est exceptée ; elle est accusée, arrêtée, et détenue dans les cas déterminés par la loi: les femmes obéissent comme les hommes à cette loi rigoureuse.

Art.8
La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée aux femmes.

Art.9
Toute femme étant déclarée coupable ; toute rigueur est exercée par la Loi.

Art.10
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l'ordre public établi par la loi.

Art.11
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne peut donc dire librement, je suis mère d'un enfant qui vous appartient, sans qu'un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Art.12
La garantie des droits de la femme et de la Citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de celles à qui elle est confiée.

Art.13
Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, les contributions de la femme et de l'homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l'industrie.

Art.14
Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique. Les Citoyennes ne peuvent y adhérer que par l'admission d'un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans l'administration publique, et de déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée de l'impôt.

Art.15
La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration.

Art.16
Toute société, dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ; la constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la Nation, n'a pas coopéré à sa rédaction.

Art.17
Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés: elles ont pour chacun un droit lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

POSTAMBULE 

Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles? Quels sont les avantages que vous recueillis dans la révolution? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption, vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ?

La conviction des injustices de l'homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu'auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n'est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous? Tout, auriez-vous à répondre. S'ils s'obstinent, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l'énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir. Passons maintenant à l'effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société ; et puisqu'il est question, en ce moment, d'une éducation nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement sur l'éducation des femmes.

Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l'administration nocturne des femmes ; le cabinet n'avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat ; enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l'ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé. »

 

 




[1] Blanc Olivier : Marie Olympe de Gouges, une humaniste de la fin du 18° siècle. Editions René Vienet. 2003.