Trois femmes parmi tant d'autres : 3e partie - Marguerite de Valois

Trois femmes parmi tant d'autres : 3e partie - Marguerite de Valois

« Trois femmes parmi tant d’autres » : 3° partie

 «  Discours sur l’excellence des femmes » est précisément le titre donné par Marguerite de Valois  au texte qu’elle rédigea en 1614, au soir de sa vie ( puisqu’elle devait décéder le 27 mai 1615 ) en réponse aux «  Secrets Moraux », ouvrage quelque peu misogyne qu’un Jésuite, le Père Loryot, lui avait adressé.

Marguerite de Valois se montre ici une « excellente élève » de Christine de Pisan qui avait conseillé aux femmes d’interpréter délibérément les classiques de la misogynie au rebours de ce qu’ils disent.

Ce discours fut littéralement censuré puis ignoré jusqu’à nos jours :

    1. Qu’une femme
    2. Qu’une Reine de France[1]
    3. S’oppose à un Jésuite 
  • en défendant des thèses féministes 
  • et en argumentant avec les catégories d’Aristote (Annexe 4) 

était à la limite du concevable en ce début de 17° siècle.

Comme le note R.Oliger «  on peut s’interroger sur le fait de savoir si on ne peut pas trouver là, après les médisances huguenotes du 16° siècle, un autre fondement à la construction du mythe de la Reine Margot si tenace jusqu’à nos jours »

Il s’agit d’un texte court, percutant, éblouissant condensé reflétant la verve acidulée d’un esprit hautement cultivé, subtil et malicieux sachant manier mots et concepts, mélangeant une intransigeance sans concession à une délicatesse toute féminine.

Conforme aux thèses «féministes »  de l’époque, ce Discours repose sur l’idée que la femme est la créature de Dieu la plus excellente, la première dans la hiérarchie des êtres avant l’Homme. (cf.annexe 5 )

La conclusion est un modèle du genre, redoutable association d’habileté, de perfidie et de brio :

« Ces raisons écrites par une femme, ne peuvent avoir beaucoup de force. Mais si elles étaient si heureuses d’être adoptées de vous, et comme telles dépouillées de mon rude et grossier langage pour être revêtues et parées des fleurs de votre éloquence, et mises au pied d’un de vos chapitres de ce sujet, comme vôtre, je crois que notre sexe en recevrait un immortel honneur, pour lui être par un auteur si célèbre comme vous attribuée telle dignité. Ce que je (re)mettrai à votre discrétion, et vous priant que j’aie part en vos bonnes prières, je demeurerai, de toute votre compagnie et de vous, Votre très affectionnée amie, Marguerite »

 

Ainsi était Marguerite de Valois, née le 14 mai 1553 de Henri II et de Catherine de Médicis, sœur de 2 rois Charles IX et Henri III, première épouse très catholique du Huguenot Henri IV de Navarre le 18 Août 1572

«  Les huguenots me tenaient suspecte parce que j’étais catholique et les catholiques parce que j’avais épousé le roi de Navarre qui était huguenot »

Bousculée par les événements ( A la Cour de Nérac de 1578 à 1579, à la forteresse de Usson en Auvergne de 1586 à 1605 date de son retour à la Cour ), mal aimée par sa mère, malmenée par son frère, bafouée par son mari elle eut une vie faite de renoncements, d’affronts, et  même de captivité mais qui fut particulièrement riche dans le domaine intellectuel et culturel.

Nous sommes bien loin de la reine Margot, princesse dépravée, installée dans les esprits par Alexandre Dumas en 1845.

Comme l’écrit le Comte Léo de Saint Poncy en 1887 : «  Lorsqu’on pénètre dans les détails de cette histoire, on reste confondu du cynisme de tous ces mensonges, qui, transmis de main en main, sont en quelque sorte devenus classiques »

Marguerite de Valois est non seulement la première souveraine à produire des « Mémoires Royales », livrant à la postérité un document exceptionnel sur l’époque et la personnalité des derniers Valois et celle du premier Bourbon, mais aussi la première Reine à avoir mis son talent de dialecticienne et d’écrivain au service de la cause des femmes.

 (Fin de la 3° partie, à suivre…….)

 

ANNEXE 4

 « Les Catégories » est une œuvre majeure d'Aristotequi a été placée en tête de son Organon(l'ensemble de ses traités de logique). 

Aristotedéveloppe dans ce traité les bases de sa logiqueet de son ontologie, en étudiant la façon dont l'être peut se dire dans le langage, particulièrement dans la langue grecque. Le terme de « catégorie » provient du verbe grec « categorein », qui signifie « accuser ». Les catégories seront ainsi les modes d'accusation de l'être, c'est-à-dire les différentes façons de signifier et de désigner ce qui est en général.

 

ANNEXE 5

DISCOURS SUR L’EXCELLENCE DES FEMMES

AU REVEREND PERE LORIOT, JESUITE

Mon père, l’heur m’ayant été si grand, lorsqu’il vous plut me bailler votre beau livre, de m’être rencontrée en quelqu’une de vos conceptions aux raisons que vous apportez sur la question Pourquoi la femme est-elle plus propre à la dévotion que l’homme ?, maintenant, sans sortir du sujet qui est propre à ma faible connaissance (comme fit le cordonnier duquel le peintre se moqua quand il le voulut reprendre d’autre chose que de son soulier), ains m’appuyant sur ce commun dire que chacun doit être savant en son propre fait, j’oserai, ayant lu tous les chapitres que vous faites sur cette question, savoir : Pourquoi l’homme rend tant d’honneur à la femme ?, vous dire que poussée de quelque ambition pour l’honneur et la gloire de mon sexe, je ne puis supporter le mépris où vous le mettez, (en) voulant qu’il soit honoré de l’homme pour son infirmité et faiblesse. Vous me pardonnerez si je vous dis que l’infirmité et la faiblesse n’engendrent point l’honneur, mais le mépris et la pitié ; et qu’il y a bien plus d’apparence que les femmes soient honorées des hommes par leurs excellences – espérant, par les raisons qui suivent, vous prouvez que, non par l’infirmité mais par l’excellence de la femme l’homme lui rend honneur. 

I - Dieu procède par tel ordre en ses œuvres qu’il fait les premières les moindres, et les dernières les plus excellentes, les plus parfaites et les plus dignes, comme il a montré en la création du monde, faisant l’homme le dernier, pour lequel il avait fait toutes les créatures. Dont il faut avouer que, la femme étant encore faite après l’homme et comme la dernière création de Dieu, que l’excellence et suprême degré de dignité lui doi(ven)t être attribué(s), ainsi que les plus grandes perfections sont en elle, étant formée comme l’homme des mains de Dieu, mais d’une manière d’autant

II- L’on voit la nature procéder en embryon de même sorte : formant premièrement le corps humain, elle commence par les organes de la végétable, puis de la sensitive, et pour le dernier de la raisonnable, qui est le degré de perfection autant élevé au-dessus de la sensitive que celle-ci surpasse la végétable. Aristote tient ce même ordre aux biens et aux fins, disant que la dernière fin est toujours la plus excellente. 

III- Il faut avouer que, là où les organes sont composés d’une manière plus délicate et excellente, qu’ils seront au préalable mieux proportionnés, comme il se voit extérieurement au visage et au corps de la femme, tant délicate, d’où il faut inférer l’intérieur semblablement être plus délicatement et mieux organisé pour les fonctions de l’âme. Et par conséquent, l’âme de la femme sera plus propre à faire des plus belles actions que celle de l’homme fait de fange, matière rude et sale et grossière, qui le doit rendre plus grossier et lourd en toutes ses actions, tant de l’esprit que du corps. 

IV- Ceci convia les hommes, au commencement qu’ils s’assemblèrent, de rejeter la première élection qu’ils avaient faite des plus forts de corps pour les gouverner et défendre des bêtes sauvages, pour se faire régir par les plus beaux esprits, plus capables de raison, de justice et d’équité, qui les feraient plus heureusement vivre. En quoi la femme excellant, comme la dernière et la plus parfaite oeuvre de Dieu, et l’homme le connaissant, (il) se reconnut obligé à lui rendre ce grand honneur, et presque l’adorer, comme plus sainte et plus vive image de la divinité, et en qui reluit plus de ses grâces. Par quoi, il ne faut plus dire le monde avoir été fait pour l’homme, et l’homme pour Dieu, mais il faut dire le monde avoir été fait pour l’homme, et l’homme pour la femme, et la femme pour Dieu. 

V- Dieu a voulu que ses sacrificateurs fussent bien accomplis et que ses offrandes se choisissent des choses les plus excellentes et parfaites, comme vous voyez en l’ancienne Loi avoir été ordonné, aux sacrifices, de n’être offerte à Dieu aucunes victimes viciées ou imparfaites. De sorte que, le plus parfait étant le plus agréable à Dieu, nous pouvons clairement inférer que la femme a cet avantage sur l’homme. Car si c’est pour le corps, c’est chose trop connue que celui de la femme est trop plus beau, plus délicat et mieux élaboré que celui de l’homme ; et si c’est pour l’âme, Dieu se plaît aux esprits tranquilles, reposés, dévots et tels que celui de la femme, non aux esprits tumultueux et sanguinaires comme celui de l’homme : n’ayant voulu, pour cette cause, que David, homme de guerre, fit son temple, mais Salomon, qui fut paisible, et qui en la douceur de ses humeurs approchait de fort près du naturel de la femme.

 VI-Partant, puisqu’elle surpasse l’homme en toute sorte d’excellence, de perfection et de dignité, et que toutes choses se rapportent au plus excellent, plus parfait et plus digne comme sa dernière fin, il faut dire la femme avoir été faite comme chef de toute la création du monde et son dernier oeuvre, ( elle) qui possède le Transcendant de toutes choses créées en plus pur et parfait degré. Et par conséquent elle est une digne offrande pour être présentée à Dieu et pour être plus capable de lui rendre grâce de toutes celles qu’il a épandues en la Nature et sur toute création. 

VII-Et tout ainsi qu’il n’y a rien en la Nature si digne d’être dit être fait pour Dieu que la femme, aussi, toutes choses en la Nature étant sous elle (l’homme même), elles ne peuvent être dites faites que pour la femme,(elle) ne pouvant sans se rabaisser et faire tort à sa dignité, se dire faite pour autre que pour Dieu. 

VIII- Que si on la dit être déchue de l’excellence de sa création par la menace que Dieu lui fit pour le péché de la pomme (disant en courroux et par punition qu’elle serait assujettie à son mari), cela montre qu’auparavant, elle lui était supérieure. Et pour ce juste courroux, il ne la priva de l’excellence de son être, l’ayant choisie pour mère de Dieu, honneur auquel le sexe de l’homme n’est point parvenu. Par quoi encore, il doit honneur et soumission à la femme, comme à la mère de son Dieu. 

Ces raisons écrites par une femme, ne peuvent avoir beaucoup de force. Mais si elles étaient si heureuses d’être adoptées de vous, et comme telles dépouillées de mon rude et grossier langage pour être revêtues et parées des fleurs de votre éloquence, et mises au pied d’un de vos chapitres de ce sujet, comme vôtre, je crois que notre sexe en recevrait un immortel honneur, pour lui être par un auteur si célèbre comme vous attribuée telle dignité. Ce que je (re)mettrai à votre discrétion, et vous priant que j’aie part en vos bonnes prières, je demeurerai, de toute votre compagnie et de vous,

Votre très affectionnée amie, »

 

[1]Car même après l’annulation (1559) de son mariage avec Henri IV de Navarre au bénéfice de Marie de Médicis elle continua de porter le titre