Au surlendemain de la journée des droits des femmes....

Au surlendemain de la journée des droits des femmes....

Pour certains je suis l’une des femmes les plus exceptionnelles du XXe siècle quand d’autres me considèrent comme la première célébrité féminine noire. Appelée affectueusement « Tumpie », je suis née en 1906 à Saint Louis (Missouri), d’une mère danseuse, métisse noire et amérindienne, et d’un père présumé, musicien de rue itinérant d’origine espagnole[1] qui m’abandonne lorsque j’avais un an et qui ne m’a jamais reconnue. J’ai toujours été tiraillée par le fait d’être « ni noire, ni blanche ».[2]

Dans mon enfance, je vis misérablement avec mon frère, mes deux sœurs et ma mère qui, très tôt, me place dans une famille de « blancs » aisés. J’y alterne scolarité et travaux domestiques, afin de contribuer par mon salaire à faire vivre la fratrie dont je suis l’aînée.

A 13 ans (1920), je quitte l’école et le nid familial pour me marier. La passion de la danse me conduit très vite sur scène. J’ai été habilleuse dans la troupe du Booker Washington Theater, théâtre de 1000 places, créé en 1913 par le Frère éponyme. Je remplace par hasard une danseuse malade et c’est le début de ma grande aventure artistique. A 14 ans, je gagne mon premier cachet dans ce théâtre de Saint Louis.2

J’aurai dans ma vie, quatre maris légitimes et un sans aucun fondement légal ; un ouvrier fondeur, un porteur de valise dans l’entreprise ferroviaire (du Frère George Mortimer Pullman) dont je conserverai le nom, un tailleur de pierre italien se prétendant comte, un industriel français ayant fait fortune dans le sucre raffiné, un chef d’orchestre et un artiste avec qui j’échange mes vœux dans une église vide d’Acapulco. Pour moi, il est clair que « Tous les hommes n’ont pas la même couleur, le même langage, ni les mêmes mœurs, mais ils ont le même cœur, le même sang et le même besoin d’amour ».

Le Frère Charles-Édouard Jeanneret-Gris, plus connu sous son pseudonyme « Le Corbusier », eut un coup de foudre pour moi, en 1929, sur le bateau qui nous ramenait du Brésil. Il subsiste de notre rencontre quelques portraits dus à l’architecte, encore célibataire à cette époque, mais une liaison entre nous reste du domaine de la légende.

Bien que mariée à de nombreux hommes, je maintiens également des relations amoureuses avec des femmes tout au long de ma vie d’adulte. Je n’ai cependant jamais révélé au grand public cet aspect de ma personnalité. Parmi mes amantes célèbres figurent l’écrivain français Colette[3] et le peintre Frida Kahlo[4].

J’obtiens la nationalité française en 1937. Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, je suis agent du contre-espionnage[5] sous les ordres du commandant Jacques Abtey[6]. En tant qu’artiste je fréquente la haute société parisienne. J’utilise ma notoriété pour récupérer des informations, et profite de mes déplacements pour transporter des messages secrets sur mes partitions musicales ou à l’intérieur de mes robes.

Je m’engage ensuite dans les services secrets de la France Libre. Au Maroc, je soutiens les troupes américaines et coloniales une tournée, de Marrakech au Caire, puis au Moyen-Orient, de Beyrouth à Damas, me permet de glaner des informations sur la position des troupes allemandes auprès des officiels que je rencontre.

Titulaire du brevet de pilote, je suis affectée au bataillon 117, avec la fonction d’Officier chargé de la propagande et je débarque à Marseille en octobre 1944. À la Libération, je poursuis mes activités pour la Croix-Rouge, et chante pour les soldats et résistants près du front, suivant avec mes musiciens, la progression de la 1reArmée française.[7]

Ma conduite héroïque durant la guerre me vaut la Médaille de la Résistance avec rosette, la Médaille commémorative des services volontaires de la France Libre, la Croix de guerre 1939 -1945 avec palme et la Croix de la libération. Plus tard je reçois les Insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur des mains du général Vallin.

En 1964, je retourne aux États-Unis pour soutenir le mouvement des droits civiques du Pasteur et Frère à titre posthume Martin Luther King, en utilisant ma grande popularité dans la lutte contre le racisme, et pour l’émancipation des Noirs. Je participe en 1963 à la Marche pour le travail et la liberté vers Washington. À cette époque, je me suis également engagée dans l’action de la LICA[8] qui deviendra la LICRA[9] en 1979.

En 1951, la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People)  association nationale pour la promotion des gens de couleur, a attribué mon nom à la journée du 20 mai, en l’honneur de mon activisme pour les droits civiques.[10]

Après accouchement d’un enfant mort-né, j’adopte douze enfants de nationalités différentes que j’appelle affectueusement ma « tribu arc-en-ciel »,[11] afin de démontrer que la cohabitation de « races » différentes peut fonctionner.

Je suis acquéreur d’un château « Le domaine des Milandes » construit en 1489 au cœur du Périgord, ainsi qu’une bonne partie du village de Castelnau-la-Chapelle. Le château a été labellisé « Maison des Illustres » en 2012. Je souhaite en faire le village du monde et la capitale de la fraternité. Dans un souci d’entraide, je participe à la modernisation des lieux pour améliorer le quotidien des habitants. Mauvaise gestionnaire, j’emploie dans mon domaine un personnel nombreux et j’y engloutis toute ma fortune. Je lance un appel pour sauver ma propriété. Émue par ma détresse, Brigitte Bardot participe à la tentative de sauvetage, mais sans succès.

Alors que je suis pratiquement ruinée, mon amie  la princesse Grace de Monaco, tout comme moi artiste d’origine américaine, m’offre un logement à Roquebrune[12] pour le reste de ma vie et m’invite à Monaco pour des spectacles de charité.

Décédée à Paris le 12 Avril 1975 après un accident vasculaire cérébral, je reçois les honneurs militaires. Mes funérailles catholiques ont lieu en l’église de la Madeleine, puis je suis inhumée au cimetière de Monaco. Aujourd’hui je repose au Panthéon.

Si vous ne m’avez pas encore reconnue, je rajoute que je suis chanteuse, danseuse, actrice, meneuse de revue au « Folies Bergères » et au « Casino de Paris ». Je me produis dans la « Revue nègre ». J’étais surnommée la « Vénus noire ». Je dansais sur des musiques, au rythme du Charleston. J’ai remporté un succès inoubliable avec la chanson « J’ai deux amours » et je suis l’héroïne de deux films « Zouzou » puis « Princesse Tam-Tam ».

J’ai été Franc-Maçonne, initiée, le 6 mars 1960, par la Loge « La Nouvelle Jérusalem » de la Grande Loge Féminine de France à l’Orient de Paris. Pour irrégularité envers le trésor de ma loge[13], à moins qu’il ne s’agisse d’absentéisme[14] ou de mon soutien au Civil Rights Movement, mouvement des droits civiques du Pasteur Martin Luther King[15], qui aurait pu déplaire à certaines de mes sœurs, je serai radiée de l’obédience.

J‘aimerais que l’on se souvienne de moi comme d’une femme ayant assumé son autonomie, ses différences et s’étant engagée au service de l’altérité pour vivre en Fraternité.[16]

 

"Extrait de l'ouvrage "Qui sommes nous?" par M.Meley et V.Hoffmann publié chez Amazon 

http://www.amazon.fr/Qui-sommes-nous-biographiques-historiques-%C3%A9tonnantes/dp/B0BRZ2WN2K/ref=sr_1_1?crid=1G4AJDYSDZ06M&keywords=qui+sommes+nous+meley&qid=1678530466&sprefix=meley%2Caps%2C102&sr=8-1

 


[1] Bryan Hammond et Patrick O’Connor, Josephine Baker, Cape, 1988, p. 2.

[3] « Josephine Baker », glbtq.com, An Encyclopaedia of Gay, Lesbian, Bisexual, Transgender and Queer Culture, p. 2, 2006 

[4] Maev Kennedy, « Frida Kahlo’s love letters to José Bartoli to be auctioned in New York », The Guardian, 9 avril 2015 

[5] Kevin Labiausse, « ??? ??? au service de la France Libre » [archive], Le Patriote résistant, octobre 2006.

[6] Chef du contre-espionnage militaire de Paris

[7] Jean-Luc Barré, « ???, ??? (1906-1975) », in Claire Andrieu, Philippe Braud, Guillaume Piketty (dir.), Dictionnaire de Gaulle, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2006.

[8] Ligue Internationale contre l’antisémitisme

[9] Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme

[11] Vivre un idéal de fraternité universelle : la « Tribu Arc-en-ciel » de ??? ??? [archive] par Yves Denéchère.

[12] Stéphane Bern, « Monaco et les princes de Grimaldi », émission Secrets d’Histoire sur France 2, 11 septembre 2012.

[13] Il pourrait s’agir de retards de paiement de mes cotisations

[15] Marc de Jode. Monique et Jean Marc Cara : Dictionnaire universel de la Franc-Maçonnerie Larousse Présent 2011